Je l’aimais bien. Il avait traversé une époque que plusieurs d’entre nous ont connue : celle d’une certaine génération de professionnels de l’aide engagés corps et âme dans leur métier au lendemain de mai 68, et qui l’ont fait à leurs risques et périls, en allant au charbon, loin des sécurités d’une vie adulte tout tracée et des carrières académiques.

Je me souviens de cette soirée chez lui il y a si peu de temps ou nous évoquions tous ensemble ce passé commun : les délires expérientiels de la nouvelle psychologie humaniste, avec sa profusions de stages en tous genres, si créative, si loin des  des modes de transmission traditionnels rationnels et autoritaires. Epoque innovante, périlleuse, parfois loufoque, audacieuse. En rupture avec le savoir académique, l’apprentissage expérientiel était en vogue et passablement aventureux. Nous y avons puisé le goût de rencontres groupales, de l’écoute des langages du corps, de la spontanéité des expressions émotionnelles, des relations authentiques, nous nous en sommes nourris. Quel plaisir nous avons eu à évoquer ces ateliers mémorables (et parfois hilarants) avec tout le recul d’aujourd’hui….

Une époque débridée sans doute mais dont nous avons tenu à pérenniser la trace vivante. Nous y avions puisé un puissant désir d’instaurer et de transmettre à des « apprenants » le gout des rapports humains impliqués et empreints de vérité existentielle. Une qualité de relation que plusieurs d’entre nous ont cherché toute leur vie à promouvoir et même à institutionnaliser en proposant de nouveaux modes d’apprentissages du métier de psy, aussi diversifiés que possibles, en créant des écoles et des fédérations d’écoles. Nous avions découvert dans notre chair la richesse et la diversité des rencontres humaines, loin des cloisonnements théoriques et disciplinaires, hors des sentiers battus: il incombait à chacun de les intégrer à sa propre trajectoire.

 L’articulation des expériences personnelles avec l’intégration de courants d’idées de provenances et d’horizons divers est apparue à Jean-Michel comme le chemin à parcourir le plus utile à la formation des psychothérapeutes, les invitant à déployer une approche complexe de leur futur métier, leurs permettant de s’inscrire désormais dans le champ de la psychothérapie « relationnelle »…   

Jean-Michel croyait vraiment à ce qu’il faisait. Les 2 ou trois dernières années de sa vie il me semble qu’il était animé par une obsession : préparer la relève. Fonder la SFPI, faire entrer au CA de l’Affop de nouvelles énergies, trahissaient son empressement à  pouvoir constater de son vivant les effets de notre action commune dans un environnement néolibéral particulièrement réfractaire à nos principes qui durcissait constamment la législation. Sa précipitation a rencontré des résistances, il a involontairement heurté ceux d’entre nous qui réclamions de donner plus de temps au temps. Mais je suis convaincue qu’en tout état de cause il était sincère. Je garde le sentiment qu’il était tiraillé entre son envie de « dételer » sentant sa santé plus précaire, et son désir ardent que « ça continue » et même s’accélère, « ça » étant tout ce à quoi il croyait profondément : l’avenir d’une psychothérapie essentiellement humaniste. 

Son désir de « passer la main » pour avoir enfin le droit d’aborder avec plus de liberté une étape de vie qu’il savait être la dernière le poussait à une certaine urgence. En témoigne son plaisir d’annoncer la création de la SFPI comme un passage de relai personnel presqu’étonné que d’autres reprennent le projet : « c’est formidable », disait-il, soulagé et presque surpris : « c’est eux qui font le travail maintenant». Son désir appuyé de voir entrer de nouvelles énergies dans un CA de l’Affop si possible « rajeuni », me semble relever de ce même sentiment d’urgence. Il nous a valu quelques désaccords. La sincérité de ses regrets d’avoir pu heurter l’un ou l’autre, son effort actif pour « réparer » les éventuelles blessures de compagnons de route qu’il affirmait affectionner depuis longtemps, son désir profond de restaurer nos liens m’ont sincèrement touchée: « je ne suis pas rancunier, au bout d’un moment j’oublie et je passe à autre chose » m’a-t’il dit lors de notre dernier entretien en tête à tête.

Il a fait sa part. Je regrette vraiment son départ, c’est une perte considérable, même s’il a bien droit au repos. Il a « tenu  la barre » jusqu’au bout de ses forces vitales. J’aurais aimé qu’il reste encore, avec son expérience, sa tenacité, son courage, sa foi. Nous venions de repartir sur de nouvelles bases, nous étions en train de retrouver l’essentiel = notre désir commun de faire vivre une fédération porteuse d’espérances. J’en suis attristée…

Merci de tout cœur à Christine pour avoir si bien accompagné Jean-Michel dans cette partie la plus délicate de sa vie. Je suis certaine qu’elle en retirera tout le bienfait pour elle-même qu’apporte une expérience aussi fondamentale. Je lui suis profondément reconnaissante d’avoir su apporter à Jean-Michel toute la présence humaine que nous aurions aimé pouvoir lui offrir.

Le 13/04/2020

Marcelle Maugin, vice-présidente de l’AFFOP